Enquête sur un blason oublié
En ce début d’année 2022, je reçois un mail de notre président Georges qui effectue des recherches sur un blason situé sous le clocher de l’église de la Séguinière en me demandant si je savais à qui appartenait ce blason et si je pouvais le dater.
Comme indice, il me joint la photo suivante :
Un blason couronné et deux personnages qui le soutiennent
Avec au premier plan une statuette et quelques brindilles.
Si la demande de Georges n’aboutit pas, je suis au moins capable de dater, grâce à ce premier plan, la photo : c’est forcément une partie de la crèche de cette année mais là n’est pas la question !
Ce blason, je l’ai déjà vu et en recherchant dans mes photos, je retrouve le cliché suivant pris le 4 janvier 2020 :
C’est bien le même blason, un peu plus net. Je trouve également un second cliché avec des personnages ressemblant à ceux de la photo témoin mais situé sur le mur du bas côté nord de la nef et dans un état dégradé de peinture plus avancé.
Qui pouvait bien afficher son blason sur les murs de l’église ?
Deux familles importantes dans l’histoire de la Séguinière peuvent être sur les rangs, les Du Plessis de la Bourgonnière et les Beauvau dont certains membres portèrent le titre de seigneur de la Séguinière.
La première mention d’un seigneur de la Séguinière se trouve sur une quittance datée du 30 avril 1452, archives de Maine-et-Loire cote E2361. Il s’agit de Jacques Du Plessis de la Bourgonnière. Son petit fils, Charles fit d’importants travaux en agrandissant l’église au début du XVIesiècle.
Il laisse ses blasons et ceux de son épouse Louise de Montfaucon, dame de Saint- Mesmin, à plusieurs endroits de l’église, notamment sur les voutes sculptées du bas coté sud. Les Beauvau prennent le relais vers 1650, avec Charles de Beauvau, époux de Jeanne de Sesmaisons. Il décède à la Treille le 23 juillet 1690, qualifié d’écuyer, seigneur de la Treille, la Séguinière, âgé de 70 ans environ (arch.49 de Saint-Melaine, Cholet vue 212/251). Le dernier Beauvau, seigneur de la Séguinière est Claude Louis Jean Vincent de Beauvau blessé mortellement à la prise de Cholet le 14 mars 1793 par les Vendéens, au commencement des guerres de Vendée.
Pour plus d’informations sur les seigneurs de la Séguinière voir les articles « la Séguinière, la Renollière et le culte de Saint-Hubert » de L.M. Bonnineau, revue SLA 1924 et « des Du Plessis aux Beauvau » de Jean et Chantal Meaugeais revue SLA 2018.
Les blasons ne nous apprennent pas grand-chose si ce n’est que les armoiries des Beauvau sont surmontées d’une couronne comme sur la peinture murale.
En 2009, des travaux de restauration de l’église se terminaient avec la remise en valeur de la charpente de la nef. Dans le diagnostique de ces travaux, une étude des enduits peints à été réalisée (Rapport d’étude des enduits peints de la nef, Tours, 2008 par Véronique Legoux, restauratrice de peinture murale) Cette étude a « révéler la présence de 9 décors distincts, dont 3 décors héraldiques, marquant les décès ou des événements de la vie des seigneurs de la Séguinière » Ces trois décors héraldiques sont datés entre la fin du XVIesiècle et le XVIIIesiècle et représentent sans doute « le vestige d’une litre funéraire marquant le décès d’un seigneur dont le fief dépendait. L’écu à pu comporter les armoiries du seigneur. »
« Litre funéraire : bande horizontale de couleur noire, généralement peinte au sommet des murs droits à l’intérieur et à l’extérieur des églises à l’occasion du décès d’un seigneur, auquel est rattaché le fief dont l’église dépend. Sur la litre, les armoiries du seigneur étaient représentées, sous la forme d’une suite. Ce droit, né à la période féodale, est aboli à la Révolution Française, puis rétabli à la Restauration. Il disparaît progressivement après cette période »
Dans mes papiers, je retrouve cette carte représentant le blason de la famille Beauvau Tigny. Il est noté en bas de celle-ci « gravure J & C Maugeais »
Le blason, quatre lions cantonnés de gueules, couronnés, armés et lampassés d’or, a pour support deux sauvages armés de massues. (J-F Bodin, Recherches Historiques sur l’Anjou ,1847)
Les personnages représentés sur les gravures pourraient être ces sauvages avec leurs massues. Sur cette vue de ci-dessous, prise à l’entrée du bas côté nord, on distingue deux lions qui semblent se dressés, dit « rampant » en héraldique. Le blason serait donc celui d’un Beauvau. Mais à qui pouvons nous l’attribuer ?
Les Beauvau ont porté le titre de Seigneur de la Séguinière autour des années 1650 à l’année 1789 avec l’abolition des privilèges de la révolution.
Dans le rapport d’étude des enduits peints, 9 campagnes d’interventions distinctes sont découvertes. La première campagne est datée entre le XVIe et la fin du XVIIIe siècle, soit la période de présence des Beauvau à la Séguinière et représente une croix de consécration, signe « que des travaux importants ont été réalisés puisqu’une consécration a été nécessaires » peut-être les travaux de rénovation signalés dans le « diagnostic de l’état sanitaire de l’église de mai 1999 » à la page 25, lorsque les Beauvau succèdent aux Du Plessis au cours de la seconde partie du XVIIesiècle et apposent leurs blasons à différents endroits de l’église. Charles de Beauvau habite alors le château de la Séguinière où six de ses enfants vont naître.
En 1662, Charles de Beauvau achète le château de la Treille et s’y installe avec sa famille. Il y décède le 23 juillet 1690 à 70 ans. Sur l’acte décès, on note la signature du curé de la Séguinière Louis Janeteau. Il est inhumé dans l’église de Saint-Melaine. C’est peut-être à la suite de son décès que sont réalisées les peintures de l’église, car ensuite le château de la Séguinière est laissé à l’abandon (expertise foncière de 1700, « il était une fois … la Séguinière, n°5, mai 2003, bulletin SLA). Son fils Charles-Claude de Beauvau prend sa suite. Il assiste à l’inhumation de sa sœur Charlotte de Beauvau dans la chapelle seigneuriale des Beauvau dans l’église de la Séguinière le 15 avril 1708 et est qualifié de « haut et puissant seigneur de cette paroisse » (Archives départementale de Maine-et-Loire, vue 95/122 année 1708, la Séguinière). Il est inhumé le 28 décembre 1734 dans le cœur de l’église de Saint-Melaine à 81 ans. Son fils Anne-Louis De Beauvau, marquis de la Treille, seigneur de la Séguinière décède à la Treille et est inhumé le 2 mars 1770 en l’église de Saint-Melaine à 69 ans. C’est en sa faveur que fut créé le marquisat de Beauvau en 1744.
Nous remarquons également sur la couronne perlée au dessus du blason neuf perles. Sur un dictionnaire héraldique de 1774, il est noté : « La Couronne des Comtes, un cercle d’or, & seize grosses perles au dessus. Sur les écus & écussons, on ne voit que le front de ces Couronnes ; de manière que celle des Comtes ne paraît avoir que neuf perles. » Mais nous ne retrouvons pas le qualificatif de comte pour les seigneurs de la Séguinière et notamment pour les Beauvau. Le marquisat n’étant créé qu’en 1744 comme cité ci-dessus.
Conclusion :
Le blason correspond bien à la famille De Beauvau, mais son attribution nominative est difficile à confirmer même si Charles de Beauvau, premier seigneur de la Séguinière de la famille paraît un candidat sérieux. Il est le premier Beauvau à faire des travaux de rénovation dans l’église et à y apposer ses armoiries et celle de sa femme Jeanne de Sesmaisons.
L.M.